CONDOLEANCES BARBARES
Condoléances barbares
Aux memoires expropriées
« Mais en ce temps autour et loin
veillait la solitude »
Jacques Réda
La Génoise sans tête de Campumoru les yeux cernés
de vieilles fougères ne cesse d’abasourdir le maquis
furtif de la mer.
Dans le petit port un surnom traqué court avec son exil
en bandoulière et son identité retroussée après des publicités
épicières.
Une frégate d’oiseaux échouée dans la membrure
d’une fenêtre d’un kilomètre d’horizon.
Bergers pêcheurs conteurs et veillées à louer.
Aridité confinée sur les terrasses sèches des heures.
Le ciment et les marbres des memoires craquent sous
la mort fendue.
Les couleurs rancies arrivent en bourrasques comme
des épaves de parfums assommés.
Les vieux cyprès disloquent le portail en terre forgée;
Leur ombre créancière est trop ancienne pour réclamer
son droit aux âmes ventrues.
Expropriations massives de toutes les nuits clandestines
hébergées dans les buissons délabrés.
Ames de bergeries rénovées à vendre.Tout confort
vue mer garantie.
Fuites liquides et sans pas comme le corps froissé d’une
limace qui tète le ciment de sa propre tombe.
Les cèpes sauvages grimpent dans les sabots des chèvres
sur les plateaux de Chjapparelle.
Têtes nues de promesses tailles alourdies de prières,
tous les Saints sont sortis de leur errance odorante,
engourdis d’encens hors leur socle brûlé de cire.
Les ombres de polyphonies étranglées de silences
courent dans les mûriers marins couchés par le vent.
Le bruit enfle plus grand que les voiles
de la mer:
On a vendu Campumoru.
Tous les cimetières des villages voisins sont là
tous les morts sont venus avec des morceaux de leur
tombe pour agrandir la vielle église.
Le littoral a son parc l’aquarium ses poissons.
L’epaisseur tressaillée du bois lourd étonne.
Toute l’assistance est là depuis la photo jaunie
aux épaules voûtées, depuis les mânes des routes en terre
jusqu’aux mulets aux bâts béants,
depuis les noms aux chapeaux cassés et aux foulards
bossus,
depuis les vieux verres de sable à la terrasse du café,
depuis les souvenirs excavés jusqu’aux cigales en
voilette comme des courtisanes dont on entend
soupirer les yeux,
toute là ,qui suit le vieux cercueil de Dieu.
Octobre 1996
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